Etude du chartrier de l'abbaye de Beauport
Le renouveau des études sur l’histoire de la Bretagne et des pays celtiques illustré ces dernières années par la tenue des Journées d’Histoires des Bretagnes bute sur notre méconnaissance des sources diplomatiques notamment des archives rédigées dans les scriptoria des grandes abbayes, fonds qui n’ont fait l’objet que d’explorations très superficielles et d’éditions très incomplètes et peu satisfaisantes au XIXe siècle.
Les chanoines de l’abbaye de Beauport ont constitué depuis la fondation en 1202, un chartrier très riche qui a survécu pour l’essentiel aux ravages des guerres de religion, de la Révolution et des autres malheurs du temps. Il a été déposé pour la plus grande partie aux archives départementales des Côtes d’Armor, mais plusieurs séries se trouvent également à Paris, Londres et Rome. Ces fonds, méconnus, s’avèrent exceptionnels, tant par le nombre d’actes conservés que par l’intérêt qu’ils présentent, éclairant l’histoire du Goëlo mais aussi les liens unissant la Bretagne et l’Angleterre, grâce à ses prieurés installés Outre-Manche, ainsi que l’histoire des Prémontrés et des chanoines réguliers en Bretagne, une présence importante avec plusieurs fondations notables (Notre-Dame de Daoulas, Sainte-Croix de Guingamp…) qui n’a jamais été étudiée en profondeur.
Une première édition a bien été commencée au XIXe siècle par J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélémy dans les Anciens Évêchés, mais elle ne concerne qu’un petit nombre d’actes et renferme de nombreuses erreurs et inexactitudes. Le caractère exceptionnel de ces archives nécessite une véritable édition de l’ensemble de ce fonds constitué entre le début du XIIIe siècle et la fin du XVe siècle avec l’élaboration d’un répertoire et d’un index qui répondent aux exigences scientifiques actuelles. Son ampleur interdit une édition que l’on pourrait qualifier de classique, entreprise par un chercheur isolé, elle nécessite, au contraire, une
approche novatrice, pluridisciplinaire, réunissant des chercheurs internationaux spécialistes de leur discipline, (diplomatique, toponymie, histoire, linguistique, droit, art et archéologie), associés pour mener à terme un projet où se mêlent édition des chartes, étude des habitudes scripturaires, anthropologie des relations unissant moines et laïcs, ainsi que les pratiques spirituelles et les commandes artistiques. Depuis les recherches menées par P. Chastang sur les cartulaires languedociens ou le travail de D. Barthélemy sur les notices vendômoises, les chercheurs ont pris conscience que les écrits des communautés religieuses ne sont pas la
transcription exacte d’une réalité que l’historien n’aurait qu’à réceptionner. Ces actes véhiculent aussi une pensée, une vision et sont construits selon des règles particulières qui influencent d’autant la rédaction et le message, pratiques jusque là rarement envisagées et prises en considération, une méconnaissance à l’origine d’une mauvaise compréhension des écrits et des nombreux topoi qui jalonnent notre perception des sociétés médiévales (prédominance de la violence, conflits permanents avec l’aristocratie, effacement des communautés rurales…).
L’importance politique et spirituelle de Beauport, la grandeur des vestiges archéologiques et le volume des sources conservées permettent de dépasser les recherches trop cloisonnées limitées à un seul aspect (diplomatique, social, artistique…) pour envisager une approche large permettant d’explorer le lien entre écrits, spiritualité, rapports de pouvoir, programme artistique et vision de la société. Ce projet mené conjointement par l’université de Brest et le CRBC et l’université de Toronto, en partenariat avec le Centre d’Histoire du Droit de l’université de Rennes1, le CESCM de l’université de Poitiers, le Centre for Medieval Studies de Toronto et les archives départementales des Côtes d’Armor doit se dérouler en trois ans et se structure autour de deux pôles : un premier consacré à l’édition des actes de l’abbaye et un deuxième mené en parallèle sous la forme d’ateliers, de journées d’étude et d’un colloque durant lesquels seront développés pour les premières les liens unissant les chanoines de Beauport et la société du Goëlo et pour le deuxième, dans une perspective plus large, le rôle des Prémontrés et des chanoines réguliers en Bretagne. D’autres rencontres internationales sont également programmées à Kalamazoo et à Leeds. Les résultats de ces discussions et
recherches pourront être réinvestis par la suite dans la mise en valeur et la compréhension de ce site majeur des Côtes d’Armor fréquenté par des milliers de visiteurs tous les ans.
Les chanoines de Beauport et la société bretonne au Moyen-âge
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